Les films inspirés par les comics
colonisent les écrans, au point qu'il est devenu commun aujourd'hui de
parler de l'univers Marvel (Spiderman, Capitaine America, Les Avengers,
Black Panther, Hulk, etc,)
et de l'univers DC (Batman, Superman, Wonder Woman, Aquaman. etc.),
expressions faisant directement référence aux maisons d'éditions
propriétaires des droits sur les super-héros qui dominent aujourd'hui
les écrans nord américains. Ces films engrangent des
millions en revenu et le public ne semble pas vouloir se lasser.
L'acronyme MCR (pour Marvel Cinematographic Universe) est en voie de passer dans le vocabulaire familier des cinéphiles Les super héros des
comics sont considérés par plusieurs comme une sous-littérature pour adolescents en quête de lecture facile, une littérature
fast-food en fait. Grave erreur, il est possible de trouver une
dimension mythologique au genre, un Olympe de demi-dieux (dimension
mythologique confirmée par l'annexion du Valhalla par le MCR avec
l'intégration de Thor dans cet univers, un
Thor trahi, diversité hollywoodienne oblige, par l'apparition d'un
Heimdal interprété par le comédien d'origine ghanéenne, Idriss Elba),
cette pléthore de demi dieux s'efforce de protéger l'humanité contre les
exactions d'un nombre non moins significatif de
villains, l'anglicisme généralement utilisé pour
décrire les méchants dans cette littérature, méchants dont les pouvoirs
dépassent les moyens des autorités en place. Nous sommes tentés de
penser que les super-héros se sont développés suite à la mort de Dieu
annoncée par certains philosophes du XIXe siècle.
Les super-héros dans cette hypothèse seraient des divinités mineures
protectrices et rassurantes, quelque chose comme les lares de
l'Antiquité. Les super-héros ne se déplacent pas pour rien, ils luttent
contre des super-méchants et ne s'intéressent pas à la
petite criminalité (vols, violences, évasion fiscale, etc.). Les
super-héros n'ont pas qu'une dimension
mythologique ne serait-ce qu'accidentelle. Ils ont aussi une dimension politique, il suffit de lire pour s'en convaincre,
Super-héros une histoire politique(1). Les super-héros ont fait
la Seconde guerre mondiale et la Guerre froide avec les États-Unis,
mobilisés comme le plus vulgaire des G.I.'s. Luttant d'abord contre les
nazis, puis contre les communistes, ils
devaient convaincre leurs jeunes lecteurs de s'associer aux combats
pour la liberté et
l'American way of life. Le fait que les créateurs des premiers
super-héros soient des citoyens américains d'origine juive l'un des
créateurs de Batman, Bob Kane , était Canadien (Joe Shuster pour
Superman, le grand-père des super-héros, et Bob
Kane et Bill Finger pour Batman n'est probablement pas étranger au fait
que les super héros soient même entrés en guerre avant l'entrée en
guerre officielle des États-Unis. Cette omniprésence de créateurs
d'origine juive parmi les créateurs de super-héros
a fait dire à certains que les Superman et Batman étaient peut-être des
Golem modernes.
En l'absence de grands ennemis
clairement identifiables, la période de la coexistence pacifique a vu
les super-héros se consacrer à la lutte contre les
villains faisant oublier un peu leur dimension politique. Assistons-nous à un retour de cette dimension politique avec
Joker. Par un curieux renversement de situation, c'est un méchant qui pourrait marquer le retour de cette dimension.
« Tant Todd Philipps (le réalisateur,
NDA) que Joaquin Phoenix (L'interprète du Joker,NDA) se sont défendus ,
lors de la présentation du film Venise ou ils ont raflé le Lion d'Or du
meilleur film, de vouloir faire du
«Joker » une oeuvre politique. Mais le parallèle entre le destin du
Joker et celui de la génération X est évident. Dans ce Gotham croulant
sous les ordures - au sens littéral et figuré du terme - l'espoir n'est
pas de mise, Wall Street a fait ses premiers
ravages et le Joker ne commence a devenir lui-même qu'en tuant trois
employés de la compagnie d'»investissements des entreprises Wayne ».
Évidemment , la révolte des 99% - traités de «clowns» par les riches -
est brûlante d'actualité tout comme cette foi en
un avenir meilleur et cette violence omniprésente, prête à éclater en
un instant sous un prétexte fallacieux ou non.»(«Joker: un grand film,
Le Journal de Montréal, 3 octobre). Propos que rejoint Angie
Landry lorsqu'elle écrit:»C'est un film qui n'a aucune lumière , aucune
joie, qui est égoïste et très angoissant. Il y a de la violence gratuite
, parce que le Joker n'a aucune ambition
sociale ou politique. C'est presque un film nihiliste» Eugénie
Lépine-Blondeau» (Joker ou le
miroir plutôt troublant d'une société malade,
Radio-Canada d'une société malade, 4 octobre).
Ouvrons ici une parenthèse, le film
contient des scènes de violence certes, mais avec ces cinq meurtres, on
pourrait cyniquement considérer que Joker est loin de la moyenne des
morts violentes dans un film d'action
hollywoodien. Joker est moins violent qu'un film comme Terminator ou qu'un épisode de la série
Le Trône de fer. Le problème de Joker est que la « violence du film s'enracine dans le quotidien du personnage et ne résulte pas de l'abus d'effets pyrotechniques.
Eugénie Lépine-Blondeau brûle
lorsqu'elle parle d'un film nihiliste, mais il faut revenir aux
déclarations du réalisateur et de Joaquim Phoenix affirmant «ne pas
vouloir faire du «Joker»une oeuvre politique ». À l'appui
de leur intention de ne pas faire une oeuvre politique, il faut garder
en mémoire que «Joker»n'est pas un militant ou un activiste, il n'a pas
de message politique à offrir, les trois courtiers de Wall Street qu'il
abat ne le sont pas parce qu'ils oeuvrent
dans une entreprise active sur Wall Street, mais parce qu'ils le
passent à tabac. C'est la presse qui plaque un message politique sur le
geste du Joker en titrant «Kill the riches» (intégré dans le film grâce
au vieux procédé cinématographique des plans utilisant
des pages
frontispices de journaux) et en lançant
ainsi le mouvement des émeutes violentes qui marqueront le dernier
tiers du film, ce n'est pas le Joker qui les initie ou les anime. Ces
émeutes résultent de la colère de ceux
qui sont traités de «clowns»par le richissime patron des entreprises
Wayne et employeur des trois hommes abattus dans le métro.
Arthur Fleck l'homme qui va se
transformer en Joker est au début du film un ancien patient
psychiatrique, habitué des services sociaux de la ville de Gotham.
Vivant en marge de la société de Gotham, solitaire vivant
encore avec sa mère et gagnant péniblement sa vie en tentant de devenir
humoriste et en donnant des spectacles de
stand-up comic peu courus. Pour parvenir à une lecture politique de
Joker, il faut creuser la «piste nihiliste». Certaines critiques ont voulu assimiler, le Joker a un incel
(un involuntary celibate) comme Alex Minassian, l'auteur de
l'attentat au camion-bélier de Toronto, le 23 avril 2018, dans ce cas,
nous assistons à une révolte qui demeure fondamentalement individuelle
et prend racine dans une culture du
ressentiment. Le Système et les critiques à sa solde entendent bien
nous convaincre que toute dissidence est impossible et que s'il y en une
, elle ne pourrait être que le fait d'individus psychiatrisés et
éventuellement aux
prises avec des instincts
meurtriers suivre de tels prophètes de malheur ne peut que se terminer,
dans un cul-de-sac et mener finalement à des émeutes et de l'anarchie.
Il ne manque au film que des références aux
déplorables d'Hillary Clinton en 2015 et plus récemment , aux Gillets jaunes en France.
Les dernières scène du film sont sans
équivoque. Ayant confessé ses crimes à la télévision, le Joker est
montré arpentant le couloir d'un hôpital psychiatrique. La boucle est
bouclée, retour à la case départ.
Message politique pour le Bon peuple:
ne pensez surtout pas à changer le Système, ceux qui entendent le
changer ne sont que des illuminés qui vous conduiront dans des cul-de
sacs, demeurez dans le rang,
la sagesse le veut, écoutez vos Maîtres et ne prêtez pas l'oreille à
des trublions de gauche ou de droite. S'ils n'y sont pas déjà, ils
finiront tôt ou tard là ou ils doivent être, internés à l'hôpital
psychiatrique. Le système semble prêt à s'inspirer de
ce qui se faisait en Union soviétique.
Message pour les dissidents; quoique vous pensiez, quoique vous fassiez , une cellule
capitonnée vous attend. Les cinéphiles amateurs de film de science-fiction pourront penser que la suite du
Joker existe déjà et qu'elle a été tourné, il y a quelques années politiquement parlant la suite du
Joker, c'est La Matrice (1999)réalisée par les frères Wachowski.
Rock Tousignant
- William Blanc; Super-héros une histoire politique, Paris, Éditions Libertalia, 2018, 357 p
No comments:
Post a Comment