Wednesday, October 23, 2019

Une lecture politique du Joker



Les films inspirés par les comics colonisent les écrans, au point qu'il est devenu commun aujourd'hui de parler de l'univers Marvel (Spiderman, Capitaine America, Les Avengers, Black Panther, Hulk, etc,) et de l'univers DC (Batman, Superman, Wonder Woman, Aquaman. etc.), expressions faisant directement référence aux maisons d'éditions propriétaires des droits sur les super-héros qui dominent aujourd'hui les écrans nord américains. Ces films engrangent des millions en revenu et le public ne semble pas vouloir se lasser.

L'acronyme MCR (pour Marvel Cinematographic Universe) est en voie de passer dans le vocabulaire familier des cinéphiles Les super héros des comics sont considérés par plusieurs comme une sous-littérature pour adolescents en quête de lecture facile, une littérature fast-food en fait. Grave erreur, il est possible de trouver une dimension mythologique au genre, un Olympe de demi-dieux (dimension mythologique confirmée par l'annexion du Valhalla par le MCR avec l'intégration de Thor dans cet univers, un Thor trahi, diversité hollywoodienne oblige, par l'apparition d'un Heimdal interprété par le comédien d'origine ghanéenne, Idriss Elba), cette pléthore de demi dieux s'efforce de protéger l'humanité contre les exactions d'un nombre non moins significatif de villains, l'anglicisme généralement utilisé pour décrire les méchants dans cette littérature, méchants dont les pouvoirs dépassent les moyens des autorités en place. Nous sommes tentés de penser que les super-héros se sont développés suite à la mort de Dieu annoncée par certains philosophes du XIXe siècle. Les super-héros dans cette hypothèse seraient des divinités mineures protectrices et rassurantes, quelque chose comme les lares de l'Antiquité. Les super-héros ne se déplacent pas pour rien, ils luttent contre des super-méchants et ne s'intéressent pas à la petite criminalité (vols, violences, évasion fiscale, etc.). Les super-héros n'ont pas qu'une dimension mythologique ne serait-ce qu'accidentelle. Ils ont aussi une dimension politique, il suffit de lire pour s'en convaincre, Super-héros une histoire politique(1). Les super-héros ont fait la Seconde guerre mondiale et la Guerre froide avec les États-Unis, mobilisés comme le plus vulgaire des G.I.'s. Luttant d'abord contre les nazis, puis contre les communistes, ils devaient convaincre leurs jeunes lecteurs de s'associer aux combats pour la liberté et l'American way of life. Le fait que les créateurs des premiers super-héros soient des citoyens américains d'origine juive l'un des créateurs de Batman, Bob Kane , était Canadien (Joe Shuster pour Superman, le grand-père des super-héros, et Bob Kane et Bill Finger pour Batman n'est probablement pas étranger au fait que les super héros soient même entrés en guerre avant l'entrée en guerre officielle des États-Unis. Cette omniprésence de créateurs d'origine juive parmi les créateurs de super-héros a fait dire à certains que les Superman et Batman étaient peut-être des Golem modernes.
En l'absence de grands ennemis clairement identifiables, la période de la coexistence pacifique a vu les super-héros se consacrer à la lutte contre les villains faisant oublier un peu leur dimension politique. Assistons-nous à un retour de cette dimension politique avec Joker. Par un curieux renversement de situation, c'est un méchant qui pourrait marquer le retour de cette dimension. 
« Tant Todd Philipps (le réalisateur, NDA) que Joaquin Phoenix (L'interprète du Joker,NDA) se sont défendus , lors de la présentation du film Venise ou ils ont raflé le Lion d'Or du meilleur film, de vouloir faire du «Joker » une oeuvre politique. Mais le parallèle entre le destin du Joker et celui de la génération X est évident. Dans ce Gotham croulant sous les ordures - au sens littéral et figuré du terme - l'espoir n'est pas de mise, Wall Street a fait ses premiers ravages et le Joker ne commence a devenir lui-même qu'en tuant trois employés de la compagnie d'»investissements des entreprises Wayne ». Évidemment , la révolte des 99% - traités de «clowns» par les riches - est brûlante d'actualité tout comme cette foi en un avenir meilleur et cette violence omniprésente, prête à éclater en un instant sous un prétexte fallacieux ou non.»(«Joker: un grand film, Le Journal de Montréal, 3 octobre). Propos que rejoint Angie Landry lorsqu'elle écrit:»C'est un film qui n'a aucune lumière , aucune joie, qui est égoïste et très angoissant. Il y a de la violence gratuite , parce que le Joker n'a aucune ambition sociale ou politique. C'est presque un film nihiliste» Eugénie Lépine-Blondeau» (Joker ou le miroir plutôt troublant d'une société malade, Radio-Canada d'une société malade, 4 octobre).
 
 
 
Ouvrons ici une parenthèse, le film contient des scènes de violence certes, mais avec ces cinq meurtres, on pourrait cyniquement considérer que Joker est loin de la moyenne des morts violentes dans un film d'action hollywoodien. Joker est moins violent qu'un film comme Terminator ou qu'un épisode de la série Le Trône de fer. Le problème de Joker est que la « violence du film s'enracine dans le quotidien du personnage et ne résulte pas de l'abus d'effets pyrotechniques.
Eugénie Lépine-Blondeau brûle lorsqu'elle parle d'un film nihiliste, mais il faut revenir aux déclarations du réalisateur et de Joaquim Phoenix affirmant «ne pas vouloir faire du «Joker»une oeuvre politique ». À l'appui de leur intention de ne pas faire une oeuvre politique, il faut garder en mémoire que «Joker»n'est pas un militant ou un activiste, il n'a pas de message politique à offrir, les trois courtiers de Wall Street qu'il abat ne le sont pas parce qu'ils oeuvrent dans une entreprise active sur Wall Street, mais parce qu'ils le passent à tabac. C'est la presse qui plaque un message politique sur le geste du Joker en titrant «Kill the riches» (intégré dans le film grâce au vieux procédé cinématographique des plans utilisant des pages frontispices de journaux) et en lançant ainsi le mouvement des émeutes violentes qui marqueront le dernier tiers du film, ce n'est pas le Joker qui les initie ou les anime. Ces émeutes résultent de la colère de ceux qui sont traités de «clowns»par le richissime patron des entreprises Wayne et employeur des trois hommes abattus dans le métro.

Arthur Fleck l'homme qui va se transformer en Joker est au début du film un ancien patient psychiatrique, habitué des services sociaux de la ville de Gotham. Vivant en marge de la société de Gotham, solitaire vivant encore avec sa mère et gagnant péniblement sa vie en tentant de devenir humoriste et en donnant des spectacles de stand-up comic peu courus. Pour parvenir à une lecture politique de Joker, il faut creuser la «piste nihiliste». Certaines critiques ont voulu assimiler, le Joker a un incel (un involuntary celibate) comme Alex Minassian, l'auteur de l'attentat au camion-bélier de Toronto, le 23 avril 2018, dans ce cas, nous assistons à une révolte qui demeure fondamentalement individuelle et prend racine dans une culture du ressentiment. Le Système et les critiques à sa solde entendent bien nous convaincre que toute dissidence est impossible et que s'il y en une , elle ne pourrait être que le fait d'individus psychiatrisés et éventuellement aux prises avec des instincts meurtriers suivre de tels prophètes de malheur ne peut que se terminer, dans un cul-de-sac et mener finalement à des émeutes et de l'anarchie.
Il ne manque au film que des références aux déplorables d'Hillary Clinton en 2015 et plus récemment , aux Gillets jaunes en France. 

Les dernières scène du film sont sans équivoque. Ayant confessé ses crimes à la télévision, le Joker est montré arpentant le couloir d'un hôpital psychiatrique. La boucle est bouclée, retour à la case départ. 

Message politique pour le Bon peuple: ne pensez surtout pas à changer le Système, ceux qui entendent le changer ne sont que des illuminés qui vous conduiront dans des cul-de sacs, demeurez dans le rang, la sagesse le veut, écoutez vos Maîtres et ne prêtez pas l'oreille à des trublions de gauche ou de droite. S'ils n'y sont pas déjà, ils finiront tôt ou tard là ou ils doivent être, internés à l'hôpital psychiatrique. Le système semble prêt à s'inspirer de ce qui se faisait en Union soviétique.

Message pour les dissidents; quoique vous pensiez, quoique vous fassiez , une cellule capitonnée vous attend. Les cinéphiles amateurs de film de science-fiction pourront penser que la suite du Joker existe déjà et qu'elle a été tourné, il y a quelques années politiquement parlant la suite du Joker, c'est La Matrice (1999)réalisée par les frères Wachowski. 
Rock Tousignant   

  1. William Blanc; Super-héros une histoire politique, Paris, Éditions Libertalia, 2018, 357 p

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