Le
débat sur l'aide médicale à mourir(AMM) ne semble pas prêt de prendre
fin au Québec, en fait il s'agit surtout de débats sur les limites de
l'AMM (consentement éclairé, mort prévisible, etc.) car ce qui est
visiblement dans l'air du temps est de faire en sorte qu'il n'y ait pas
de limites(toutes perçues comme des irritants) à l'AMM et qu'elle cette
dernière soit accessible sur demande). Plus récente contribution à ce
débat, l'intervention de Luc Ferrandez, ancien maire de l'arrondissement
du Plateau Mont-Royal à Montréal. Il propose de tenir compte dans
l'»offre de services» à l'AMM, de «la possibilité d'étendre l'aide
médicale à mourir aux gens qui voudraient éviter de devenir un fardeau
pour des motifs sociaux ou environnementaux[...]» (Aide médicale à
mourir: la question du «fardeau» environnemental doit être examinée,
avance Ferrandez, Journal de Montréal, 2 décembre). «Jusqu'ou
pouvons-nous étendre le droit à l'autodétermination? Pourrions-nous pour
des raisons environnementales, sociales et économiques décider que nous
voulons recevoir l'aide à mourir pour ne pas constituer un fardeau pour
notre famille et la société en général», s'est interrogé le politicien
sur sa page Facebook lundi matin.
Selon lui, le critère pour avoir
accès à l'aide médicale à mourir ne devrait pas être «la
souffrance»ressentie par le patient, mais le «fardeau» qu'il représente
[...]». Difficile de ne pas rester bouche bée devant la facilité
déconcertante avec laquelle Luc Ferrandez recadre le débat. Luc
Ferrandez oublie apparemment le fait que l'AMM est l'héritière du
concept de «mourir dans la dignité», l'idée étant d'éviter aux patients
qui le souhaitaient de mourir dans d'interminables et inutiles
souffrances, tout en reconnaissant ici, que «la souffrance » peut
s'avérer un élément subjectif, variant énormément d'un individu à
l'autre, la décision demeurait encore entre les mains du patient, avec
le recours à la notion de «fardeau », nous passons de l'individu à la
société, pour la prise de cette décision (société ici représentée par
des intermédiaires tels la famille, le personnel soignant, les
directives du Ministère des la Santé et des Services sociaux). Chacun de
ces intermédiaires ayant ses intérêts propres qui peuvent être aux
antipodes de ceux du patient: y-a-t-il dans la famille des héritiers
pressés? le personnel soignant est-il exténué par les soins à fournir
(le personnel médical souhaite-t-il récupérer le lit et la chambre du
patient)? Le Ministère de la Santé et des Services sociaux pourrait-il
exiger du centre hospitalier qu'il se conforme à des exigences
budgétaires pouvant pousser ce dernier à accélérer l'AMM pour certains
cas lourds? Luc Ferrandez est-il conscient que ce recours à l'idée de
«fardeau» est la porte ouverte à l'euthanasie des plus faibles et des
plus démunis de notre société? Pourquoi s'encombrer de « bouches
inutiles», pourquoi entretenir les «fardeaux» que sont les malades
incurables, pourquoi attendre l'hospitalisation? Pensons aux trisomiques
plus âgés dont les parents sont décédés, pour un Luc Ferrandez,
s'agit-il de «fardeaux»? Luc Ferrandez se pose la question, mais il se
contredit lui-même dans sa réponse:»Est-ce que je voudrais qu'on dépense
des milliers de dollars pour me garder en vie si je n'ai plus
conscience de ce qui m'entoure; est-ce que je voudrais pousser mon fils à
venir me visiter; est-ce que je voudrais lui laisser ou laisser au
personnel soignant l'odieux de la décision. Je pense que je voudrais
pouvoir prendre cette décision moi-même. » Luc Ferrandez semble bien se
rendre compte qu'à l'étape de «fardeau», ce n'est plus le patient qui
prendra la décision sur sa fin de vie, mais des proches (il mentionne
son fils dans des termes qui montrent qu'il ne souhaite pas laisser une
telle décision à son fils) ou le personnel soignant. Il est fascinant de
voir comment en peu de temps nous sommes passés du « suicide assisté »,
à l'»aide médicale à mourir» pour en être aujourd'hui au « fardeaux" de
Luc Ferrandez. Nous voilà bien loin de la notion de « mourir dans la
dignité » et bien plus près du registre «tasses-toi mon oncle«. À la
proposition de Luc Ferrandez, on préférera «l'amour de la vie»,
maladroitement formulée par François Legault.
No comments:
Post a Comment