Saturday, December 7, 2019

Exit les « fardeaux »


Le débat sur l'aide médicale à mourir(AMM) ne semble pas prêt de prendre fin au Québec, en fait il s'agit surtout de débats sur les limites de l'AMM (consentement éclairé, mort prévisible, etc.) car ce qui est visiblement dans l'air du temps est de faire en sorte qu'il n'y ait pas de limites(toutes perçues comme des irritants) à l'AMM et qu'elle cette dernière soit accessible sur demande). Plus récente contribution à ce débat, l'intervention de Luc Ferrandez, ancien maire de l'arrondissement du Plateau Mont-Royal à Montréal. Il propose de tenir compte dans l'»offre de services» à l'AMM, de «la possibilité d'étendre l'aide médicale à mourir aux gens qui voudraient éviter de devenir un fardeau pour des motifs sociaux ou environnementaux[...]» (Aide médicale à mourir: la question du «fardeau» environnemental doit être examinée, avance Ferrandez, Journal de Montréal, 2 décembre). «Jusqu'ou pouvons-nous étendre le droit à l'autodétermination? Pourrions-nous pour des raisons environnementales, sociales et économiques décider que nous voulons recevoir l'aide à mourir pour ne pas constituer un fardeau pour notre famille et la société en général», s'est interrogé le politicien sur sa page Facebook lundi matin. 

 


 

 
 Selon lui, le critère pour avoir accès à l'aide médicale à mourir ne devrait pas être «la souffrance»ressentie par le patient, mais le «fardeau» qu'il représente [...]».  Difficile de ne pas rester bouche bée devant la facilité déconcertante avec laquelle Luc Ferrandez recadre le débat. Luc Ferrandez oublie apparemment le fait que l'AMM est l'héritière du concept de «mourir dans la dignité», l'idée étant d'éviter aux patients qui le souhaitaient de mourir dans d'interminables et inutiles souffrances, tout en reconnaissant ici, que «la souffrance » peut s'avérer un élément subjectif, variant énormément d'un individu à l'autre, la décision demeurait encore entre les mains du patient, avec le recours à la notion de «fardeau », nous passons de l'individu à la société, pour la prise de cette décision (société ici représentée par des intermédiaires tels la famille, le personnel soignant, les directives du Ministère des la Santé et des Services sociaux). Chacun de ces intermédiaires ayant ses intérêts propres qui peuvent être aux antipodes de ceux du patient: y-a-t-il dans la famille des héritiers pressés? le personnel soignant est-il exténué par les soins à fournir (le personnel médical souhaite-t-il récupérer le lit et la chambre du patient)? Le Ministère de la Santé et des Services sociaux pourrait-il exiger du centre hospitalier qu'il se conforme à des exigences budgétaires pouvant pousser ce dernier à accélérer l'AMM pour certains cas lourds? Luc Ferrandez est-il conscient que ce recours à l'idée de «fardeau» est la porte ouverte à l'euthanasie des plus faibles et des plus démunis de notre société?  Pourquoi s'encombrer de « bouches inutiles», pourquoi entretenir les «fardeaux» que sont les malades incurables, pourquoi attendre l'hospitalisation? Pensons aux trisomiques plus âgés dont les parents sont décédés, pour un Luc Ferrandez, s'agit-il de «fardeaux»? Luc Ferrandez se pose la question, mais il se contredit lui-même dans sa réponse:»Est-ce que je voudrais qu'on dépense des milliers de dollars pour me garder en vie si je n'ai plus conscience de ce qui m'entoure; est-ce que je voudrais pousser mon fils à venir me visiter; est-ce que je voudrais lui laisser ou laisser au personnel soignant l'odieux de la décision. Je pense que je voudrais pouvoir prendre cette décision moi-même. » Luc Ferrandez semble bien se rendre compte qu'à l'étape de «fardeau», ce n'est plus le patient qui prendra la décision sur sa fin de vie, mais des proches (il mentionne son fils dans des termes qui montrent qu'il ne souhaite pas laisser une telle décision à son fils) ou le personnel soignant. Il est fascinant de voir comment en peu de temps nous sommes passés du « suicide assisté », à l'»aide médicale à mourir» pour en être aujourd'hui au « fardeaux" de Luc Ferrandez. Nous voilà bien loin de la notion de « mourir dans la dignité » et bien plus près du registre «tasses-toi mon oncle«. À la proposition de Luc Ferrandez, on préférera «l'amour de la vie», maladroitement formulée par François Legault.

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